Le Commissariat, à la reconquête d'Hispaniola
C'est une morne
journée sur les rives boueuses du Danube. Les flocons tombent épars,
faisant de la plaine de Wagram livrée aux automobilistes un vrai champ
de bataille (humour).
L'inspecteur, fagotté comme pour un long
dimanche de fiançailles, attend dans l'antichambre, là au 2e étage
de l'Austria Center.
Une bombasse à crinière crépue
entrouvre la porte d'un bureau anonyme. "Le Prremier ministrre va vous
rrecevoirrr", sussurre-t-elle tout sourire avec cet accent qui rend les
Créoles si créoles.
Un avenant bonhomme s'avance vers votre humble
et civil servant intimidé. Sorte de compromis entre T'as le
bonjour d'Albert et Uncle Bens, avec en prime (c'est cadeau) une tache
sur le crâne qui laisserait supposer quelque amour interdite de
Mikhail Gorbachev sous les cocotiers. Mmmmh. Nota pour
moi-même : en parler à Frank Drebin, LAPD.
L'affable individu décline son identité : Latortue, Gérard Latortue.
Haïti's Prime Minister, at your service.
L'inspecteur,
tel le lièvre de base, ne se dégonfle pas. Oh, il a bien parcouru
l'étendue de ses connaissances sur le sujet, pendant les 17min de
trajet le séparant de sa garçonnière à cette petite sauterie. Il a
brassé les sujets possibles, savamment ordonné les questions se
bousculant à la pelle dans son cerveau fébrile.
Gérard, Gérard ...
"Euh, Gérard - je peux vous appeler Gérard ?
- Gérard, n'avez-vous pas l'impression d'être sur une pente savonneuse ? de devoir picoler pour éponger l'excédent ?
- Allo Géraaaaaard ? c'est sparadrap. C'est ton ami, Jean-Claude Brialy.
Bref, les sujets ne manquent pas.
Mais
Latortue démarre en trombe. D'emblée, il place la conversation sur un
sujet sensible. La coopération policière de la France. De belles
promesses, se lamente-t-il, mais rien de concret jusqu'à présent.
Un voyant s'allume
chez l'inspecteur tandis que se reconnectent quelques synapses parties en vadrouille la
veille, à l'occasion d'un punsch de Noël un peu sévère. Suivi d'un pousse-rapière des familles, noyé dans le Prosecco .
"Monsieur
le Premier ministre, dis-je, vous oublierez un instant mes fonctions
d'interviewer, pour entendre un autre langage. Monsieur le Premier
ministre, je vous parle sans crainte et avec l'assurance du jeune
blanc-bec à peine sorti de ses classes et je vous dis : le Commissariat
est à votre disposition ! Une unité d'élite fondée voilà une quinzaine
d'années, et qui a déjà acquis une certaine expérience en Opex".
Le vieux sage, à qui on ne la fait pas, s'enquiert.
L'inspecteur n'attendait que cela. "Greece, Ioukey, Finisteere", plastronne-t-il, la gueule enfarinée. Sûr de son effet.
Gérard, impressionné, bredouille quelques syllabes admiratives.
Deal. Les factionnaires zonziens seront les bienvenus à Port-au-Prince, quand bon leur semblera.
Le défi est à la hauteur de la tâche, euh, de l'enjeu - enfin, il est là, quoi.
Il
faut pacifier le pays, faire entendre raison aux Chimères, ramener la
confiance, relancer les exportations de rhum et de boudin aux pommes.
En échange, et c'est une promesse, une usine de riz aux knackis
fraîcheur sera montée aux Gonaïves, redonnant l'espoir à des milliers
de sans-emplois.
L'inspecteur (béat) quitte le fier Ulysse des
Caraïbes et son canapé en cuir souple à regrets. La bombasse
réapparaît, fidèle à elle-même. Sûre de son effet, elle aussi.
Un
nouveau chapitre s'ouvre pour le Commissariat. Une fois de plus, il
interviendra là où les institutions républicaines s'enrhument - là où la voix de la France peine à se faire entendre.
Etait-ce un rêve ? se pince notre factionnaire.
Non, cette gueule-là, cette allure de dandy, cette geste nonchalante, elle est bien réelle.
C'est bien notre inspecteur.
Mission accomplie, une fois encore.
A ta santé, Gérard.
Longue vie, Commissaire.